Interview de Fonky Flav, membre du groupe « 1995 » et du collectif  » L’Entourage « 

Yo Fonky Flav ! On se voit dans le cadre de la tournée de L’Entourage, pour l’album « Jeunes Entrepreneurs » qui est sorti le 26 Mai, et qui a été plutôt bien reçu par les critiques. Peux-tu revenir un peu sur les différentes étapes de la conception de l’album, du moment où vous avez eu l’idée d’en faire un, à sa sortie ?

Fonky Flav : L’Entourage c’est un collectif d’Emcees passionnés par le rap, et l’objectif de base ce n’était pas du tout de former un collectif pour sortir un album. Au départ on ne savait même pas ce que c’était de faire un concert, alors faire un album c’était à 1000 lieux de nous venir à l’esprit, surtout tous ensembles. Avec le temps, différentes identités du collectif ont sorti leurs albums, à commencer par 1995, puis Deen, le S-Crew etc…

A un moment, il y a 3 ans environ, l’idée de faire un album a commencé à arriver, et des morceaux ont été fait. Au début c’était super laborieux, on était à Paris, les morceaux n’aboutissaient pas, ils n’étaient pas vraiment bons.
En 2-3 ans, il y a eu environ 15 morceaux qui ont été faits mais c’était une sorte de truc de fond… Des conditions pas vraiment optimales. A un moment il y a eu une vraie volonté d’avancer là-dessus. Une fenêtre s’est créée sur toutes les sorties du monde et on s’est dit que plutôt que de rester un collectif comme il y a pu en avoir pas mal dans le rap français, qui sont identifiés comme des collectifs sans qu’on sache pour autant qui est vraiment membre et à quel moment, on voulait marquer le coup.
On a loué une villa dans le sud de la France, et l’album a vachement avancé, environ 30 titres enregistrés en une semaine !
A la fin on avait un vrai panel de titres pour trancher, choisir ceux qui nous plaisaient le plus, et c’est ça qui a donné lieu à l’album.

Ensuite on a sorti le truc, et on a eu plusieurs phases. Au début on voulait faire plusieurs concerts, après on a vu le bordel que c’était de gérer 10 personnes et on a décidé de juste faire l’Olympia, qui s’est bien passé, et là on a quelques trucs qui se proposent notamment le festival Fnac Live, et on fera peut-être quelques dates à la rentrée.

Tu m’as dis toi-même que vous aviez mit un petit moment à faire l’album, globalement 3 à 4 ans. Quelles sont les raisons de ce délai ?
F.F: Quand t’es à Paris et que t’as 10 cas sociaux à gérer qui ont 100 000 potes chacun, c’est impossible de tous les focaliser sur un seul projet.

Par exemple quand tu fais des rendez-vous studio, y’a lui qui va pas être là, lui non plus, et puis il faudra recommencer le son… C’est classique, beaucoup de collectifs et groupes sont obligés de s’isoler pour avancer sur un disque.
C’était bien de commencer à Paris, ça a lancé une vraie impulsion, mais pour finaliser le délire il fallait absolument s’éloigner, se mettre à l’écart et ne faire que ça.

Les pistes sont super diverses, que ce soit au niveau des instrus, des thèmes et donc des lyrics. Par exemple si je prends la 13e piste, « Comme ça », qui est juste archi festive, elle est l’opposé total de celle qui suit, « Pas fait pour ce monde ». Quelles sont vos inspirations, et comment ça se passe au niveau de l’écriture : chacun de son coté ou tous ensembles ?

F.F: Chacun écrit ce qu’il interprète, c’est une constante dans le rap à quelques exceptions près.
En ce qui nous concerne chacun est venu avec son panel d’instrus qu’il kiffait bien, on les passait et quand suffisamment de monde en validait une avec une bonne idée de thème on se concertait et on faisait le son.

A la fin on a fait une quarantaine de titres, ce qui nous a permit de vraiment élaguer pour garder les 15 meilleures. Effectivement, il y a des sons vraiment variés, et en ce qui concerne « Comme ça » et Pas fait pour ce monde », elles ont toutes les deux été écrites en Ardèche dans la villa.
On a vraiment essayé de garder les meilleures, on n’est pas parti dès le début en se disant « ouai on va faire un album dans tel truc ».

Donc vous avez fait environ 40 titres, dont 15 sont présents sur l’album en version physique, et quelques bonus tracks sur la version digitale c’est ça ? Et comment avez-vous choisi lesquelles retenir ?

F.F: On a passé une soirée au studio de Dj Elite (Dj du groupe S-Crew), qui s’appelle le studio « Blackbird », on passait les sons et chacun votait pour le son qu’il voulait mettre puis pour le son qu’il voulait éliminer, on a fait différents tours de vote, c’était vraiment compliqué. Au final on a choisi les sons qui seraient sur l’album, et on les a classés par ordre de préférence. On voulait avoir des bonus aussi pour stimuler l’engagement sur la précommande.

L’album a été un franc succès pour les critiques, et très bien reçu par le public. Est-ce que ça vous met en confiance pour un prochain album, ou un autre projet ?

F.F: Comme je t’ai dis au début on ne pensait vraiment pas sortir d’album, L’Entourage ça n’a vraiment pas été un truc de calculs.

Maintenant que l’album est sorti, il y a pas mal de projets solo qui sont en train de se faire, on ne s’est pas du tout concerté pour voir quelle était la suite du collectif. Il y aura peut être un album, peut être pas, mais chacun des membres continuera toujours à défendre cet « emblème » donc L’Entourage ne s’arrête pas à un album ça c’est clair et net !
Bien sur que ça nous met en confiance, c’est toujours plaisant d’avoir des bons retours, et après t’as toujours envie de faire mieux.

En fait quand tu sors un disque il y a toujours des trucs que tu regrettes, c’est impossible de sortir un disque où tout est parfait, tu vas forcément te dire « putain j’aurai du faire comme ça » et t’as juste envie de faire un truc où tu ne referas pas la même erreur… mais à chaque disque tu vas en redécouvrir d’autres !

Ce qui fait vraiment plaisir c’est de voir le soutient du public et de nos supporters. Il y a des mecs que je vois à des concerts, je sais qu’ils nous suivent depuis le début, ils te parlent de scènes que t’as carrément oublié tellement elles sont lointaines. C’est ça la plus grande satisfaction, d’arriver à faire en sorte que des gens qui te suivent depuis le début ne soient jamais déçus.

A propos de supporters, il faut avouer que L’Entourage est plutôt bien situé niveau popularité ! Certains rappeurs se sont fait connaitre via les Rap Contenders ou autre, mais les 3/4 n’ont été que des buzzs éphémères. A ton avis, qu’est-ce qui justifie le fait que vous ayez percé ?

F.F
: J’ai la naïveté de croire qu’il y a un peu de musique là dedans. Effectivement dans certaines grosses expositions ponctuelles comme les Rap Contenders, mais il y en a d’autres, il y a des gens qui montent très très vite mais qui ne font pas forcément grand-chose derrière. Honnêtement quand on faisait des open-mic en 2008-2009, on faisait des morceaux à la pelle qu’on enregistrait dans nos chambres, on faisait 2 concerts par semaine… Ce n’était même pas un taff pour nous mais un kiff et c’est un truc qui nous a permit de vraiment progresser sur scène, et puis après il y a les expériences solo de chacun avec quelques succès.

Par exemple avec 1995 on a fait d’énormes tournées dans des endroits géniaux et mine de rien tu retrouves souvent les mêmes têtes, les gens qui nous suivent savent très bien que L’Entourage c’est une sorte de collectif tentaculaire avec plein de trucs qui se passent et donc ça maintient un intérêt pour le crew.

Au tout début on a aussi eu la chance de devoir se débrouiller tout seul, parce que personne ne nous tendait la main ou les personnes qui nous tendaient la main on s’est rendu compte que ce n’était pas pour les bonnes raisons donc on s’est replié, et on a apprit à dialoguer avec notre public sur internet et à ne dépendre de personne.

Un journaliste qui te kiff va te faire une couverture, et puis le lendemain s’il entend que t’as dit un truc sur lui, ou il n’aime pas ton disque, et puis ça y est tu disparais,tandis que quand t’as des mecs qui te suivent, ils sont accrochés à toi sur internet parce qu’ils kiffent ce que tu fais et qu’il y a un vrai échange avec eux, les médias pourront dire ce qu’ils veulent tu t’en fous. On a un vrai rapport avec notre public et on kiff ça !

Vous revenez du festival de Dour en, Belgique, qui est un festival très éclectique avec tous les styles de musique. Est-ce que toi ou les autres en avez profité pour faire des liens avec d’autres artistes, d’autres styles ?

F.F:  Là je vais parler un peu égoïstement de 1995 parce qu’on en a fait plus qu’avec L’Entourage, mais quand on a commencé à faire des festivals en 2012, pendant l’été nous étions le 3e groupe français à faire le plus de festivals, derrière Shaka Ponk et Zebda.

T’arrives sur une scène, les gens qui ont joué avant toi n’ont strictement rien à voir, de même pour ceux qui jouent après, et pourtant ce sont les mêmes personnes qui vous regardent et kiffent de la même façon donc quelque part tu te dis « putain c’est un truc de ouf ! ».
Clairement on a rencontré des gens qui ne faisaient pas le même style de musique, on s’est archi bien entendu avec eux.
Personnellement les festivals m’ont vachement ouvert l’esprit. Avant j’étais une sorte de « nazi du rap », c’est-à-dire que je n’écoutais que ça, et à force d’avoir été en contact avec des gens qui ne sont pas des fanatiques et qui n’attendent pas forcément la même chose que toi par rapport à un morceau, ça t’ouvre l’esprit.

Avec ‘95 ce qui nous fait kiffer c’est d’aller directement au contact des gens après chaque concert, ça nous permet d’avoir des retours directs et de voir la vraie tête des gens.
Parce que c’est facile de résumer notre public aux « petits » du fait que sont les plus vifs sur internet et les réseaux sociaux, mais nous avons non seulement des « petits » qui sont très forts et déterminés mais aussi des mecs de 40 piges qui écoutent du Rock et qui viennent nous complimenter et nous motiver.
Vraiment c’est kiffant les festivals, c’est un énorme truc !

Est-ce que cela t’as motivé à amener d’autres styles de musique dans la tienne, dans tes enregistrements ? Par exemple beaucoup de groupes de Rap empruntent des éléments au Rock, à la Funk…

F.F: Bien sur. Déjà le rap, contrairement à ce que beaucoup pensent, par exemple que c’est un style de musique très fermé, c’est un délire de sampling de pleins de styles de musique différents. Les instrus de rap sont des patchwork de plein de trucs, donc les mecs qui font des instrus, s’ils n’ont pas les oreilles ouvertes à plusieurs styles, ça ne donnera rien.
Moi je suis beatmaker, et donc forcément j’écoute tout un tas de choses pour avoir des idées de samples à reprendre, etc.

Et c’est évident que les festivals ça ouvre l’esprit, tu vas par exemple voir un mec utiliser une vraie batterie en live et te dire « putain, quand même ça déboite, j’aimerai bien en avoir une aussi ».
De toutes façons c’est lorsque tu te confrontes à la scène que tout se passe. La partie studio c’est stylé parce que tu es face à ton micro et que t’as envie vraiment d’amener ton truc à un autre niveau, mais quand tu vois la réaction en live du public et comment ton son a été perçu, tu sais si t’as tapé dans le mille ou pas.

Tu me parlais des « nazillons du rap », qu’est-ce que c’est pour toi ? Les « puristes » ?

F.F: Avant j’étais comme ça, complètement fermé  certaines sonorités. J’écoutais par curiosité mais je ne validais pas. J’avais un certain nombre de critères, et si tu sortais de ces critères je ne pouvais pas apprécier.

En fait quand tu rentres dans l’industrie du disque, il y a pas mal de choses que tu comprends. J’ai eu la chance de ne jamais avoir de concessions à faire, mais maintenant j’en comprends mieux certaines parce que ça peut  en aider certains à accéder à d’autres trucs, et le but c’est d’être écouté par le maximum d’audience sans pour autant se compromettre..

Et maintenant justement, ça ne te donne pas envie de faire en sorte que ces gens changent de mentalité aussi ?

F.F: Quand j’emploi le mot « Nazillon » c’est quand même très fort, je vais dire les « puristes en carton ».Parce qu’il y a Puriste et Puriste.

D’un coté t’as les puristes bêtes qui vont avoir des critères pas du tout objectifs et qui vont être fermés d’esprit, et de l’autre t’as les puristes qui kiffent les sons et vont aller chercher des raretés et chercher à comprendre les choix de tel ou tel artiste. Avant j’étais un puriste bête, maintenant j’en suis un « éclairé », enfin j’espère !

En 2006 on nous a dit « Le rap c’est fini », alors que maintenant c’est un des style qui vend le plus, il y a une réelle effervescence de rappeurs et de groupes, ça fait archi plaisir. Mais ce qui est surtout cool grâce à internet, c’est que maintenant tu peux écouter du rap, du rock, de la funk, de la techno etc. Elle est finie l’époque où tu n’achetais qu’un style de musique et on te collait une étiquette. Par exemple tout à l’heure j’écoutais le set des « Casseurs Flowteurs », c’est incroyable, à un moment ils basculent un peu en mode électro pour faire bouger les gens, ça déboîte ! Il y a 15 ans c’était inconcevable. Après c’est comme tout, il ne faut pas en abuser sinon à un moment les gens n’en peuvent plus, il faut savoir se diversifier un peu.

J’ai remarqué que vous aimiez partager le devant de la scène, par exemple lors de votre semaine de promo sur « Planète Rap » où vous avez partagé le micro à d’autres Emcees tels que S-Pri Noir, Espiiem, La Confrérie et Aladin du Panama Bende, ou encore lors de la première partie de votre concert à l’Olympia avec Sango, FA2L, KLM qui est venu kicker avec Doum’s, et bien d’autres encore. Est-ce que c’est parce qu’ils font partie de votre propre entourage, ou est-ce une volonté réelle de remettre le rap sur le devant de la scène ?

F.F : C’est les deux. Ce sont nos potes déjà, donc c’est cool si on peut les faire croquer. Et en plus de ça ils font partie d’une espèce de nouvelle génération de rappeurs qui déboîtent.

Il y en a qui sont même plus anciens que nous, et on ne se met pas du tout au dessus des autres mais on profite juste de notre exposition pour les mettre en avant aussi.
Il y a clairement un truc qui se passe, pas mal d’artistes qui s’en foutent complètement de vendre mais qui veulent faire des bons sons et faire kiffer le public, nous ça nous fait kiffer donc on veut partager ça.
Parfois c’est impossible, comme ce soir par exemple (dans le cadre du Fnac Festival), mais l’Olympia c’était une sorte de fête pour nous.

Et en plus ça donne une bonne image du rap !

F.F: Le problème c’est que les gens qui ont une mauvaise image du rap s’arrêtent à ce que quelques médias en disent et ne s’y intéressent pas vraiment. C’est comme tout en fait, il y a plein de trucs où les gens ont une image faussée.

C’est dommage parce que le rap c’est vraiment cool, c’est une musique de partage, d’ouverture, bref tout le contraire de ce que l’on veut nous faire croire.
Après il y a des voyous dans le rap bien sur, mais comme partout, et le rap c’est tellement large que si tu veux écouter du rap de voyou tu peux, si tu veux écouter du rap conscient tu peux.

Quels sont les futurs projets de L’Entourage et de ses membres ?

F.F : Ce sont des projets solos surtout. Par exemple Nekfeu qui taff son album solo, Deen aussi, en fait pratiquement tout le monde.
Moi non, parce que je fais d’autres trucs à coté comme de la production d’autres artistes ou d’événements à paris, je suis un peu un homme de l’ombre mais ça viendra peut-être, on verra !

Merci à toi Fonky Flav pour l’interview, et bonne continuation !

F.F : Merci à vous, à une prochaine.

(Un grand Merci à Zedkuesde qui m’a accompagné durant cette interview, et dont vous pouvez voir les photos en cliquant ICI)